Ce texte que j’avais écrit au moment du
référendum de Charlottetown, je croyais l’avoir perdu dans l’une des
épurations périodiques de mon disque d’ordinateur. En révisant mes
dossiers pour mon déménagement du 1er juillet 2001, je l’ai
retrouvé, et je crois qu’il serait bon de le conserver dans sa forme
originale, car je me rappelle d’avoir écrit ce texte dans la
frustration de voir mes compatriotes glisser vers le séparatisme après l’échec
du Lac Meech en 1990. Dans le fond, il s'agit d'une
sorte de testament politique.
J'ai eu l'idée au cours
des ans de mettre des commentaires en couleurs pour essayer de'expliquer
que les changements intervenus ne changeaient en rien mes pensées:
je pense qu'il est temps pour moi d'admettre que je me suis trompé
royalement!!!
Le 18 juillet 1992
Pourquoi je veux rester canadien.
·
Parce que j'appartiens à la
meilleure race de politiciens au Canada.
Je m'explique: depuis 1930, si on exclut
l'élection provinciale de 1935 (gagnée de justesse par Taschereau
sur le déclin) et l'interrègne Clark en 1979, seulement les
élections de 1939 au provincial (en pleine guerre) et 1970 au
provincial, 1972 au fédéral (même si Trudeau y fut minoritaire) et
1973 au provincial (le ras de marée anti-séparatiste) n'ont pas
été suivies par un changement de parti au pouvoir à l'élection
suivante à l'autre palier de gouvernement.
Également depuis 1930, les Québécois ont voté
majoritairement pour le parti au pouvoir à Ottawa, sauf en 1930
(gouvernement Bennett), 1957 (début de l'ère Diefenbaker), 1962 et
1979 (gouvernements conservateurs minoritaires et de courte durée).
En fait, les Québécois ont voté pour le parti au pouvoir à Ottawa
durant 52 des 60 dernières années.
· Parce que comme politicien,
j'aime entretenir l'incertitude et l'équivoque, ce qui m'a permis
d'obtenir pour ma société distincte, des gains sérieux au niveau
compétence depuis la poussée autonomiste commencée par Duplessis
(impôt provincial sur le revenu), Lesage (Caisse de dépôt, Régime des
rentes), Lévesque (immigration), Charest (déséquilibre fiscal), tout en profitant du dynamisme
économique canadien et de la péréquation.
· Parce que je n'ai pas besoin
de me séparer pour voir épanouir ma différence: personne au Canada n'a
l'audace de me dire que je ne suis pas différent: le reste du Canada
aimerait bien être sûr que je resterai canadien, et moi j'adore
entretenir leur sentiment d'insécurité à mon endroit.
· Parce que si je me séparais,
je suis convaincu de perdre plus de pouvoirs que j'en gagnerai: après
tout, j'ai, comme Québécois, contrôlé l'appareil politique de tout le
Canada depuis 40 ans; depuis 1968, des premiers ministres canadiens du
Québec ont toujours été élus, sauf pour les interrègnes de Clark (9
mois en 1979-80) et Turner (3 mois en 1984) Harper (2006-8): pas mal pour un nègre blanc
ex porteur d'eau!
· Parce que la masse des
fonctionnaires francophones à Ottawa, après une lente et souvent
difficile ascension, EST PLUS INFLUENTE ET EFFICACE QUE JAMAIS, et que je
ne veux pas me priver de cet avantage juste au moment où il commence à
me donner des dividendes.
· Parce que, sentimentalement
et contre toute logique, je ne veux pas admettre DANS MON FOR INTÉRIEUR
la fin de mon rêve francophone à l'échelle du Canada et de l'Amérique
du Nord, rêve qui a débuté au 17ème siècle avec Louis Jolliet et
d'Iberville et que nous avons réalisé jusqu'à la fin des émigrations
du 19ème siècle dans l'Ouest et dans la Nouvelle-Angleterre. Un Québec
souverain implique la disparition à court terme du français dans le
reste de l'Amérique.
· Parce que je tiens à mon
passeport canadien, même quand je débarque en France.
· Parce que je suis encore
convaincu que je retire plus du Canada que ce que j'y contribue avec mes
taxes et que je rêve du jour où je pourrai prouver le contraire.
· Parce que le Canada constitue
pour moi la seule dimension qui me permette de me démarquer du géant
américain pour que ma société distincte survive à la fin du XXème
siècle
· Parce que je sais que je peux
me séparer si je le veux, et que je ne le veux pas parce que j'apprécie
la tolérance du reste du Canada envers mes états d'âme collectifs. Pour
apprécier cette tolérance, je la compare à l'attitude des Américains
envers les mouvements séparatistes de Porto Rico par exemple.
· Parce qu'en cas de
séparation, je ne peux compter sur l'appui de la France au Québec.
· Parce que l'infrastructure
économique de Québec Inc. est bien fragile si on lui impose les
critères de l'économie de marché car elle repose en grande partie sur
le patronage des gouvernements provincial (par exemple: Mouvement
Desjardins, SNC, Lévesque, Beaubien & Geoffrion) ou fédéral
(Bombardier).
· Parce que je me méfie des
élites qui se sentent bien aise de m'indiquer le chemin de l'
"indépendance sans risques", perchées qu'elles sont sur leur
bureaucratie et confortées d'une "job à vie".
· Parce que je ne veux pas, à
moyen terme, devenir américain.
· Parce que ma vraie
souveraineté devra se négocier non pas avec mes partenaires canadiens
mais avec les investisseurs internationaux qui devront continuer
d'éponger mes déficits (à moins que cela ne soit le Fonds Monétaire
International, ce qui est bien pire).
· Parce que dans le fond le
Canada et le Québec se retrouvent dans un étau qu'ils le veuillent ou
non et que la seule façon d'envisager de séparer le Québec serait d`y
constituer une vraie société distincte sur le plan socio-économique.
Nous pourrions décider de vivre selon nos moyens en réduisant les
expectatives de ma société distincte au niveau des programmes d'aide
tant aux entreprises (le patronage mentionné plus haut) qu'au niveau des
citoyens (programmes sociaux de tout genre). Ce n'est pas le genre de
société que je vois poindre avec le PQ ni même le parti libéral.
· Parce que dans le
présent état de choses, le Québec, tout comme le reste du Canada, n'a
plus la marge de manœuvre nécessaire; Je suis donc condamné à
rester dans le carcan nommé Canada, faute de quoi ma société distincte
deviendra sans doute le 54 ou 55ième état américain après les
Maritimes et les provinces de l'Ouest.
· Parce que la structure
actuelle du Canada est encore la meilleure pour que je conserve ma
spécificité tout en survivant comme entité politique.
· Parce que je ne veux pas
perdre le seul outil de pouvoir que notre nombre et situation
géographique me donnent pour survivre dans le Canada actuel, ce chantage
permanent que nous utilisons avec bonheur depuis au moins 1954. Je me
demande bien quel serait notre levier face aux États-Unis?